Cet impressionnant tableau de cabinet de František Karel Palko thématise la rencontre du Christ et de ses deux disciples à Emmaüs. Cette image est inspirée du 24ème chapitre de l’évangile de Luc. Le texte du Nouveau Testament décrit ici le désespoir des disciples de Jésus quittant la capitale après l’exécution de leur enseignant, où ces récents événements douloureux ont eu lieu. Un inconnu les rejoint sur le chemin, les interroge et commence ensuite à leur expliquer le sens et les leçons de ce qu’ils viennent de vivre. Une fois arrivés à destination, leur compagnon est invité à passer la nuit ... Le peintre capture donc sur la toile le moment clé de cette histoire, lorsque les disciples reconnaissent au moment de rompre le pain dans l’inconnu leur enseignant ressuscité : Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; et il disparut de leur vue. Et ils se dirent l’un à l’autre : « Est-ce que notre cœur n’était pas brûlant en nous, lorsqu’il nous parlait sur le chemin, tandis qu’il nous dévoilait les Ecritures ? »
La toile illustrant le Christ avec les disciples à Emmaüs rappelle une analogie évidente avec les jeunes œuvres de l’auteur, l’époque de l’obtention de la médaille d’or académique à la fin des études autour de 1745. Dans l’inventaire sur le travail de l’artiste, Preiss démontre qu’il s’agit uniquement du septième tableau conservé de Palko, dont la maîtrise explique également que l’œuvre a longtemps été considéré comme celle du célèbre peintre autrichien Franz Anton Maulbertsch. La spécialiste de l’œuvre de Maulbertsch Klára Garasová démontre néanmoins pour la première fois en 1971 que l’œuvre a été peinte par Palko. Son collègue Pavel Preiss le lui attribue également dans la seule monographie dédiée à Palko.
L’auteur met en scène l’événement de la reconnaissance du Christ par les disciples lors d’un souper dans un intérieur intime et terne, illuminé par la gauche par une lumière de jour brusque. Les rayons de soleil dessinent de manière plastique les silhouettes de deux hommes vêtus de riches draperies assis dos à la lumière autour d’une petite table. La figure du Christ, introduite de profil avec visage relevé, est placée à droite face à l’ouverture de la fenêtre. Elle tient le pain dans la main gauche, tandis que le geste de l’autre main suggère un discours. La dissonance intérieure des disciples est exprimée à travers les gestes excités des mains et le ton général des corps en interaction avec la silhouette de l’invité. La conception correspond au croquis très populaires de cette période, capturant les dessins frais et légères faites à la main exprimant la vision originale de l’œuvre par l’auteur.
L’image du Christ avec les disciples à Emmaüs provient des collections de Margrave à Baden-Baden, où la peinture a été présentée face à la scène de Jésus marchant sur la surface de l’eau vers St Pierre agenouillé. Le motif unificateur de cette paire de tableaux, capturant la rencontre des disciples avec Jésus après sa mort, représente probablement la dichotomie de la fragilité et de la force de la foi humaine soutenue par l’espoir.
František Karel Palko est né le 3 décembre 1724 à Wrocław en Silésie. Il a d’abord étudié à l’école jésuite à Bratislava, où il a commencé à se consacrer aux beaux-arts grâce à la compagnie de son frère peintre František Antonín. Pavel Preiss réfute dans sa monographie de manière convaincante l’existence d’une éventuelle formation italienne qui devait soi-disant suivre et qui a été longtemps affirmée. Entre 1739 et 1744, il fut inscrit à l'Académie de Vienne, où il étudia parallèlement à d’autres peintres importants tels que František Antonín Maulbertsch, Josef Ignác Mildorfer et Jan Lukáš Kracker. À la fin de ses études à Vienne, l’une des premières œuvres importantes de Palko, la toile de Judith et Holopherne, fut récompensée en 1745 par la médaille d’or de l’Académie. Au même moment, Palko obtient une commission à la cour de l’électeur saxon de Dresde.
Au milieu de l’année 1752, le peintre s’établit à Malá Strana à Prague, où il travaille pour les jésuites sur la prestigieuse décoration des fresques de l’église Saint-Nicolas. Les représentants de la guilde locale de Saint Lucas se manifestèrent bientôt contre les activités du peintre étranger. Les activités de Palko sont donc suspendues pendant une courte période jusqu’à résolution du conflit. Au même moment alors qu’il travaillait sur des commandes à Dresde, Palko fut engagé par les bourgeois de Kutná Hora afin de réaliser la fresque de Saint Jean Népomucène. Il l’y a ensuite aussi ajouté la toile principale de l’autel. De même, pendant plusieurs années de travaux continus sur l’église Saint-Nicolas, le peintre créé un retable représentant le décès du jésuite Saint François Xaversky. Ce dernier eut un écho littéraire documenté par le roman Arbes de Saint Xaverius. Parmi les autres endroits de Prague où figurent les travaux de Palko, il y a les monastères Stráhov et Zbraslav, le théâtre à Malá Strana ou l’église de Týn. En dehors de Prague, il a participé à d’importantes commandes de monastères pour femmes à Doksany et à Marienthal en Lusace. Son travail peut également être vu dans les églises d'autres villes et villages tchèques, tels que Liberec, Heřmanův Městec, Radotín ou Rohatec. À la fin de sa vie, Franz X. Charles Palko travailla à Munich, où il mourut en 1767 à la suite d’une longue et douloureuse maladie.
Pendant longtemps, son œuvre artistique a vécu principalement grâce au sort des dessins hérités par la veuve Marie Anne František Ludmila Palková, née Burešová, rachetée par le grand marchand, collectionneur et expert parisien Pierre Jean Mariette. Une autre partie des dessins a été acquise par la célèbre collection du belge Charles Antoine Lemoral de Ligne. Cinq de ces feuillets ont été envoyés sous la collection du Duc Albert Saxon-Těšinski à l’Albertina de Vienne. Ces dessins, intégrés aux fameuses collections mondiales, ont assuré la réputation du peintre même lorsque la notoriété de son travail avait presque disparu.
Klára Garas, Antonio Galli Bibiena et Franz Karl Palko, à : Bulletin du Musée Hongrois des Beaux-Arts, Budapest 1971, no. 37, p. 72, ill. 61.
Bruno Bushart, Der lyrische Maulbertsch. Festschrift Kurt Rossacher Imaginationen und Imago, Salzbourg 1983, p. 30, 39, 15.
Hubert Hosch, Franz Anton Maulberstch und Süddeutschland. Anmerkungen zu Ein- bzw Rückwirkungen und Fragen der Eigenhändigkeit. Schriften des Veriens für Geschichte des Bodensees und seiner Ungebungen, Friedrichshafen 1990, p. 173.
Pavel Preiss, František Karel Palko, Život a dílo malíře sklonku středoevropského baroka a jeho bratra Františka Antonína Palka, Prague 1999, p. 40-41, p. 280.
Markgräfliche Badische Kunstsammlungen Baden-Baden, collection privée.