František Kupka 1871—1957

L’Homme et la Terre 1904–1905

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L’ensemble de 105 feuilles de format 400 × 600 mm (54 pièces) et environ 350 × 500 mm (51 pièces) constitue l’œuvre illustrative de Kupka la plus grande et la plus précieuse. Son importance réside non seulement dans son entièreté et dans son échelle, mais surtout dans la modernité des illustrations, dont certaines anticipent même la création abstraite de Kupka. Les illustrations pour L’Homme et la Terre (1905–1908) ont été commandées directement par l’auteur de ces 6 volumes, Élisée Recluse (1830–1905). Dans son dernier ouvrage scientifique, complété par son neveu Paul Reclus (1858–1941), il a tenté de résumer l’histoire de l’humanité de son début préhistorique à nos jours avec une vision critique illustrant notamment l’anticipation des problèmes environnementaux ou la lutte pour les droits des animaux.

Élisée Recluse

Le détournement clair du positivisme vers la prise en considération du contexte historique et politique, similaire à l’accentuation des visions sociales, a ouvert la voie à la théorie de la géopolitique. Élisée Reclus était l’un des représentants les plus en vue des militants anarchistes français et c’est donc également sous cet angle que ses travaux scientifiques doivent être vus. František Kupka appartenait aux mêmes cercles anarchistes, et il créa donc pour Reclus, d’un commun accord, un travail atypique rempli par moment d’allégories ironiques et satiriques, à l’encontre de la production illustrative de son temps. La symbiose politique et la vision particulière caricaturiste de l’artiste ont été vraisemblablement les principales raisons pour lesquelles Reclus a préféré Kupka à d’autres artistes bien plus célèbres, tels que Maximilien Luce, Théophile Alexander Steinlen ou Théo van Rysselberghe. Reclus voulait surtout empêcher que son travail soit illustré de manière conventionnelle, ce qui était également possible dû au fait que Kupka ne cherchait pas à capturer le texte de manière littérale.

Élisée Reclus, L'Homme et la Terre, 1905–1908

Kupka a travaillé environ cinq ans sur cet ensemble (1904–1908). Les premiers dessins ont été réalisés à l’époque des fameux cycles pour L’Assiette au Beurre, pendant que les derniers étaient terminés juste avant ses premières études abstraites. Pour cette raison, l’arrière-plan de certaines feuilles dévoile certaines traces d’art abstrait. Les premières illustrations ainsi que l’affiche publicitaire ont été livrées par Kupka en décembre 1904. La maison d’édition paya l’artiste cent cinquante francs pour le frontispice, soixante-dix francs pour la page de couverture et quarante francs par vignette. Bien que František Kupka eut beaucoup expériences avec l’illustration pour des magazines satiriques à cette époque, dans le cas de cette collaboration avec Élisée Reclus, il fût confronté néanmoins à une tâche plutôt difficile dût à la portée encyclopédique de ce travail. Pour des raisons de recherche, il fréquentait des institutions scientifiques ainsi que des conférences à l’université, une méthodologie qu’il appliqua aussi lors des prochaines commissions. Les illustrations de Kupka sont une synthèse de diverses esquisses artistiques, mais également un recyclage de ses propres œuvres plus anciennes (par exemple, l’intitulé de la brochure Le Salariat de l’anarchiste Petr Kropotkin). La grande influence de Théophile Alexander Steinlen se fait sentir dans les dessins de Kupka axés sur la société, mais bien évidemment, les photographies et ses propres études ont aussi joué leur rôle. Kupka n’a pas toujours évité de manifester sa connaissance de la peinture historique conventionnelle, avec laquelle il a pu composer des dessins épiques plus exigeants. Cependant, la plupart des dessins de Kupka soulignent la pensée vitaliste de Reclus. Pour Reclus, comme pour Kupka, l’histoire de la libération de l’humanité est une question de progrès qui affine l’homme et le connecte avec l’énergie de l’univers.

À propos de l’auteur

Après les études aux académies de Prague et de Vienne, František Kupka a d’abord travaillé en 1896 comme illustrateur pour des magazines de mode à Paris. Cependant, avec une inclination progressive vers le mouvement anarchiste, il se consacre dès 1900 de plus en plus au dessin politique et satirique. Trois de ses albums d’auteurs (Argent, Religion et Paix), qu’il créait de 1901 à 1904 pour le magazine satirique L’Assiette au Beurre, ont abouti au succès à échelle internationale. Il contribua aussi par ses œuvres à d’autres périodiques comme le magazine humoristique Le Rire, le journal anarchiste Temps Nouveaux, la revue visuelle Illustration, le journal Art Nouveau Cocorico ou enfin l’hebdomadaire politico-satirique Canard sauvage. Parallèlement, à partir de 1899, il publie des estampes socialement critiques et ésotériques, telles que Les fous, Résistance (L’Idole noire) et La Voix du silence, qui résultent de ses prises de position politiques anarchistes et de ses expériences de spiritisme (pour lesquelles il était également proche d’Alfons Mucha). Dans les années 1904 et 1905, il illustre le travail du géographe anarchiste Elisée Recuse, L’Homme et la Terre, dans lequel il résume ses pensées et sa profonde connaissance des principes physiques et spirituels sur les questions de la création, de la composition et de l’existence de l’univers. Il les introduits avec un contenu abstrait, ne faisant que se situer à quelques pas des considérations sur abstraction en tant que telle. Quelques années plus tard, vers 1910, tout en se défendant au départ d’une étiquette abstraite, il se rendit compte que l’artiste en position de créateur dispose du même point de départ qu’un hypothétique Créateur avec grand C: en effet, il se tient devant une toile vide qu’il remplit à la fois d’éléments aléatoires autant que causaux, s’il s’agit donc de points de couleur, de surfaces ou d’autres formes qui, par leur interaction, évoquent des associations et des émotions, c’est-à-dire sur le même principe que lorsque le monde est créé ou lorsque dans le monde des sons, une musique est créée. Le terme orphisme inventé par Apollinaire pour ce type particulier de raisonnement abstrait, était très différent du concept d’abstraction issu du cubisme analytique ; c’est en réalité son contraire, le concept synthétique, la véritable création dans l’art plastique a été également envisagé par Kupka et ses amis du groupe Puteaux. En 1912, Kupka fut l’un des premiers peintres au Salon d'automne de Paris à oser exposer des peintures purement abstraites : il s’agissait du tableau Amorpha, une fugue à deux couleurs et Chromatique chaude. La réaction de la critique de ses contemporains a été, comme c’est souvent le cas dans l’art, plus ou moins négative, mais ceci n’a en aucun cas découragé Kupka à développer davantage sa pensée abstraite. Bien qu’il ne soit pas entrée tout au début dans le panthéon de la genèse de l’art abstrait, il a su attiré l’attention, dans la période de l’entre-deux-guerres, des galeries françaises et mondiales, par exemple à travers son appartenance à l’association internationale des artistes Abstraction – Création et aussi par le billet de plusieurs expositions basées sur des variations et séries de peintures purement abstraites (sa première exposition individuelle a eu lieu en 1922 à la galerie Povolozky avec adresse 13, rue Bonaparte ; la dernière avant la guerre fut celle avec Alfons Mucha en 1937 au Jeu de Paume). Hélas, il n’assistera pas à sa première grande rétrospective parisienne d’après-guerre au Musée national d’art moderne à Paris en 1958. Il meurt à Puteaux le 24 juin 1957. Il est aujourd’hui reconnu comme l’un des trois principaux fondateurs de l’art abstrait dans le monde et reste le peintre tchèque le plus connu, ainsi que le plus cher, de l’histoire.

Historique des expositions

Kupka Waldes. Malíř a jeho sběratel, Galerie Rudolfinum, Prague, 07/12/1999 – 09/01/2000.

Vers des temps nouveaux : Kupka, œuvres graphiques, 1894–1912, Musée d’Orsay, Paris, 25/06/2002 – 06/10/2002.

Galerie nationale de Chine, Pékin, 2005.

Palais royale à Pnomphen, Cambodge, 2006.

Galerie nationale de Mongolie, Ulanbátár, 2006.

Galerie royale de Bangkok, Thailande, 2006.

Člověk a Země, Brasserie du château, Litomyšl, 2007.

Za Československo, pocta neexistující zemi, Centre tchèque de Paris, 16/06/2016 – 30/09/2016.

František Kupka, Pionnier de L’Abstraction, Grand Palais, Paris, 21/03/ 2018 – 30/07/2018.

František Kupka : Člověk a Země, Alšova jihočeská galerie à Hluboká nad Vltavou, 10/06/2018 – 07/10/2018.

František Kupka, Galerie nationale de Prague, 07/09/2018 – 20/01/2019.

František Kupka, Ateneum, Helsinki, 22/02/2019 – 19/05/2019.

Littérature

Elisée Reclus, L'Homme et la Terre, Bibliotheque universelle, Paris, 1905-1908. Volumes 1-6.

Pierre Brullé; Marketa Theinhardt; Petr Wittlich; Marie-Pierre Salé, Vers des temps nouveaux: Kupka, Oeuvres graphiques 1894-1912, RMN, Paris 2002.

Pavel Chalupa, Antoine Marés, Les artistes tchèques en France, Pour la Tchécoslovaquie, hommage à un pays inexistant ; Za Československo, pocta neexistující zemi, Prague 2016, p. 46-49.

BRULLÉ, Pierre; LÉAL, Brigitte; THEINHARDT, Markéta. KUPKA: Pionnier de l’abstraction. Catalogue d’exposition. Réunion des musées nationaux, 2018. ISBN 2711863913.

PRAVDOVÁ, Anna; THEINHARDT, Markéta, ed. František Kupka 1871–1957. V Praze: Národní galerie v Praze ve spolupráci s Réunion des musées nationaux – Grand Palais a Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery, 2018. ISBN 978-80-7035-689-0.

Provenance

Collection de Jindřich Waldes.

Restitution de la galerie nationale de Prague, 1995.

Exposition privée, République tchèque.

Pro arte, achetée 2013.